dimanche 31 juillet 2011

Indignez-vous - Chapitre 1

Je suis frappé depuis maintenant de nombreux mois par la quantité invraisemblable de références "sexistes" qui entourent les très jeunes enfants. Ayant une fille et désireux de lui offrir les meilleures chances dans la vie, je m'étais promis d'essayer de lutter de toutes mes forces contre ces références pour lui proposer un environnement où les qualités et les valeurs n'étaient pas déterminées par le sexe de l'enfant. Mais voilà, je suis submergé au quotidien par les vagues à la fois insidieuses et flagrantes d'un océan de sexisme. Il est d'ailleurs possible que les références que je remarque ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. Je ne compte plus les livres présentant une princesse sans défense, isolée dans son château dont la seule occupation est d'attendre son preux chevalier, bravant tous les dangers pour la secourir. Je ne compte plus les fables, comme celle que j'ai empruntée par mégarde à la bibliothèque récemment, et qui présente une souris que les parents essaient de marier (!). Étant la plus jolie des souris, elle ne peut évidemment se marier qu'avec le plus puissant des êtres. Ce conte populaire est loin d'être un cas isolé. Témoins d'autres époques, les contes populaires dépeignent un sexisme omniprésent et caricatural. Il est très surprenant qu'ils soient toujours aujourd'hui aussi présents et qu'ils n'aient pas été adaptés.     

Il s'agit là d'exemples terriblement flagrants, qui nous font tous sourire, et contre lesquels il est à priori facile de lutter. Mais le mal est bien plus profond et sournois. La pollution sexiste s'insinue partout. J'ai acheté récemment un jeu très connu consistant à associer deux pièces de puzzle ensemble représentant un métier. Évidemment l'infirmière était une femme et le médecin un homme. Les livres pour enfant sont truffés de représentations sexistes. Amusez-vous à les identifier; vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Cela n'est d'ailleurs pas que l'apanage des ouvrages "classiques" qui ont traversé les âges, c'est également vrai dans des livres beaucoup plus récents. Au détour d'une page, vous trouverez par exemple une scénette présentant une famille au petit déjeuner, le papa s'en allant travailler et la maman s'occupant des enfants. Dans une ferme c'est évidemment un monsieur qui conduira le tracteur et une femme qui traira la vache. Sauf à ce que le système de traite soit électrique - auquel cas c'est bien sûr un homme qui officiera. Lorsqu'il s'agit de représenter quelqu'un qui éduque un chien, il aura évidemment les traits d'un homme et lorsqu'il faut montrer un adulte dans une cuisine, il aura la plupart du temps les traits d'une femme. De la même façon lorsqu'il faut représenter un cambriolage, le voleur sera un homme et la victime appelant les policiers sera une femme.

Une des objections qu'on pourrait facilement me faire est que ces exemples ne sont finalement que le reflet de notre société et de ses inégalités. Effectivement. Cela dit est-ce une raison suffisante pour les reproduire dans la quasi exhaustivité des livres et les asséner à nos enfants comme des vérités établies sans aucune forme de distance ni d'accompagnement ? D'autres réalités comme la mort et la prison sont présentées avec bien plus de précautions à nos enfants. Par ailleurs ces représentations, au delà d'associer un métier à un sexe, généralement véhiculent des symboles et c'est là où l'association peut-être choquante. Que le symbole de l'autorité (le maître du chien) ne soit présenté que sous des traits masculins est particulièrement choquant. Tout comme peut l'être le symbole de la faiblesse et de l'assistanat, représenté très souvent sous des traits féminins.

On pourrait également s'interroger du danger de l'association omniprésente rose-fille et bleu-garçon. Dans l'absolu on ne voit pas bien en quoi cela pourrait perturber le développement de nos enfants et pourtant. Après quelques mois passés dans cet environnement, je perçois aujourd'hui trois problèmes majeurs. D'abord cela participe à la création d'un fort clivage entre sexes qui accentue l'idée de valeurs et de qualités propres à chacun d'eux. Ensuite, en accréditant l'idée que les goûts des enfants seraient dépendants du sexe, cela ne les aide pas à apprendre à se déterminer par eux-même et à avoir leur propre avis. Enfin, et c'est surtout cela qui me dérange, cette association rose-fille se prolonge avec tout un univers autour de cette couleur porteur de ses propres valeurs caricaturales (faiblesse, passivité, ...). Autrement dit, si nous avions par ailleurs des médecins en blouse rose, des hommes ou des femmes d'affaires en costume rose, cela ne me poserait aucun problème, mais ce n'est évidemment pas le cas.

Je suis aujourd'hui intimement convaincu des méfaits de ces références, imprimées aussi tôt dans le cerveau de nos chères têtes blondes et je suis surpris qu'il n'y ait pas une mobilisation plus importante pour changer cela. Mais comment lutter contre ? Le combat à titre individuel est particulièrement difficile. Je l'ai compris le jour où j'ai demandé à ma fille quelle couleur elle préférait et qu'elle m'a répondu du tac au tac "le rose parce que je suis une fille".  J'avais pourtant le sentiment d'être sensibilisé et donc prudent. Mais il est difficile de lutter contre cette pollution sournoise.

Je rêve d'un label qui permettrait de garantir un traitement plus égalitaire des sexes dans les livres ou les jeux pour enfants. Ce même label pourrait également valider les méthodes pédagogiques. A défaut, il nous faut exercer une vigilance de tous les instants et être prêt à adapter certaines histoires et à boycotter certains jeux. Pour ma fille la jolie souris est devenue la souris la plus savante et le rose une couleur parmi d'autres qu'elle peut aimer non pas parce que c'est une fille mais pour ce que cette couleur lui évoque.

Et vous qu'en pensez-vous ?  

De retour

Après trois semaines de vacances (et oui même en congé parental on peut prendre des vacances !) me voici de retour avec de nouveaux billets :
  • Plus engagés
  • Plus drôles
  • Plus décalés
Préparez-vous à me lire

dimanche 10 juillet 2011

Comment les enfants réussissent là où les femmes échouent

Les enfants réussissent en quelques semaines là où de nombreuses femmes ont échoué de nombreuses années durant. Il y a, dans cette expérience Mesdames, de bonnes leçons à retenir. Quant à vous Messieurs, certes je trahis la cause mais sachez que cela se fait bien malgré moi. Prisonnier d'un monde ultra-féminisé, je développe petit à petit le syndrome de Stockholm et j'espère pouvoir compter sur votre indulgence.

Nous avons développé avec les années, nous les hommes, une faculté tout à fait remarquable nous permettant d'ignorer superbement les injonctions de notre entourage, essentiellement féminin, et de rester calfeutrer confortablement dans notre bulle personnelle. La démarche, quelques soit l'homme, est souvent très proche même si la recette peut contenir quelques variantes. Voilà comment, de mon côté, je m'y prends.

Lorsqu'on s'adresse à moi je relève la tête ostensiblement pour n'éveiller aucun soupçon. Un mouvement franc voir exagéré. Je pose mon regard sur le nez de mon prétendu interlocuteur. Il est important d'éviter les yeux, beaucoup trop accrocheurs, ainsi que la bouche car la tendance naturelle à vouloir lire sur les lèvres vous ferait immanquablement entrer dans le dialogue. Le nez se trouve être ainsi le parfait compromis. Ensuite il vous suffit de vous laisser porter par le rythme de la phrase. Oubliez les mots et n'écoutez que la douce mélodie. Cette dernière pourra accompagner au choix et placé par ordre croissant de difficulté quelques réflexions personnelles, la télévision, la consultation de pages web, la lecture d'un livre placé devant vous ou même avec un peu d'expérience l'envoi de SMS. A chaque baisse de rythme dans la phrase, inclinez la tête et prononcez un murmure approbateur "mmm" ... "mmm". La difficulté première réside dans le rictus qui accompagnera le murmure. Il doit être le plus neutre possible pour pouvoir être interprété par votre soi-disant interlocuteur de la façon qui l'arrange. A la manière d'un horoscope. Vous devez tendre vers le sourire et le regard de la Joconde. La deuxième difficulté réside dans la faculté à capter certains "buzz word", notamment ceux qui appellent une réponse ouverte ou fermée. Là, vous n'aurez pas le choix : il vous faudra sortir de votre activité et interagir brièvement avec votre pseudo-interlocuteur. La technique dès lors consiste à commencer une phrase par une réponse fermée. Utilisez évidemment plutôt un "oui" qui marque l'accord qu'un "non" qui marque l'opposition. Le oui devra être timide et du bout des lèvres en hochant lentement la tête de droite à gauche. Devant la réaction de votre interlocuteur vous pouvez soit prolonger les hochements de tête et le laisser poursuivre son monologue soit vous fendre d'une réponse ouverte passe-partout du type : "oui effectivement ... mais cela demande quand même réflexion". Le taux de réussite de cette technique est remarquable et vous garantira une paix royale.

Depuis le début de mon congé parental j'ai essayé de l'appliquer avec mes deux très jeunes enfants et je dois reconnaître que cela a été, à mon très grand regret, un échec patent. Tout d'abord les murmures déclenchent invariablement la même question : "Papa pourquoi tu fais ... mmm ... mmm". Ensuite le rythme des phrases, à la fois sauvage et chaotique chez les jeunes enfants, vous conduit systématiquement à placer vos réponses et vos murmures aux mauvais endroits. Résultat désastreux. Enfin lorsque la réponse n'est pas exactement celle attendue, vous devrez faire face à une riposte diablement redoutable qui consiste à vous attraper les jambes et ne plus vous lâcher jusqu'à ce que vous répondiez correctement à la question.

Mesdames vous savez maintenant ce qu'il vous reste à faire.

mercredi 6 juillet 2011

Quel type de père êtes-vous ?

Ce qu'il y a de déroutant avec les enfants, c'est la nécessité de savoir répondre au quart de tour aux questions les plus farfelues. Votre capacité d'improvisation est mise à rude épreuve à longueur de journée et la moindre faute, le moindre écart peut vous être fatal.
Je ne résiste pas à l'envie de partager ce savoureux - et non moins véridique - dialogue avec mon aîné, qui me dit, en me montrant du doigt sa tranche de poulet sous cellophane :   
- Papa ça pousse où ça ? 
- Mais c'est du poulet ça ma chérie 
- C'est un morceau de la poule ?
- Oui ma chérie c'est un morceau du poulet
- Mais papa il est où le bec ? 
Que répondre à cette question désarmante ? Je dois reconnaître avoir été muet quelques secondes et avoir imaginé en un éclair les différentes réponses que je pouvais lui faire :
Le papa carnivore
- Je l'ai déjà mangé ma chérie le bec. Je suis désolé, si j'avais su que tu le voulais, je te l'aurais mis de côté.  
Le papa factuel
- Le bec a été coupé dans l'abattoir. Nous n'avons conservé que les parties comestibles du poulet. A l'heure qu'il est, le bec est probablement incinéré avec le reste de la carcasse.
Le papa menteur
- Laisse moi bien regarder. Là, tu vois le petit bout blanc, sur ta tranche, et bien c'est le bec. Oui c'est ça, c'est un tout petit poulet qui avait un tout petit bec.  
Le papa politicien
- Ma chérie la très grande majorité des becs ne se mangent pas et il est de notoriété publique que les poulets ne s'en séparent que très rarement.  
Le papa accrobate
- Tu veux dire le .... le bac ! Le bac dans lequel on fait manger les poulets. Et bien il est resté dans le poulailler.
Le papa végétarien
- Ma chérie les becs ne se mangent pas. Tout comme d'ailleurs le reste du poulet. Tu peux me donner ta tranche tu sais, tu n'es pas obligé de la manger. Je comprendrais parfaitement que tu puisses faire un blocage. 
Le papa pressé
- Ma chérie mange ton poulet
Le papa macho
T'es bien la fille de ta mère toi. Deux vrais poules, vous n'arrêtez pas de jacasser.
Le papa pratique
C'est un poulet sans bec, sans pattes et sans plumes. Il est tout plat comme ça il se range plus facilement dans le frigo.
Et vous quel type de papa êtes-vous ?

mardi 5 juillet 2011

Papa coach sportif

Je suis actuellement à la tête d'une écurie de deux athlètes très prometteurs. Vous l'aurez compris, je suis coach sportif. Un métier très éprouvant et exigeant mais aussi passionnant et qui nécessite des compétences pointues dans de nombreux domaines.

Tout d'abord en nutrition / diététique. Vous devez veiller à la bonne alimentation de vos athlètes. Une alimentation équilibrée est une des conditions essentielles de la performance. Suffisamment de protéines et de glucides lents et pas trop de lipides et de glucides rapides. Je prépare ainsi la totalité des repas, que j'essaie de faire les plus variés possibles.  

En physiologie et récupération. Je veille à l'ensemble du matériel utilisé, en particulier les chaussures qui portent tout le poids du corps. Elles doivent être à la fois légères et souples et en même temps assurer un parfait maintien. Le placement du corps lors des exercices physiques est déterminant pour éviter les blessures. Je suis sans cesse à conseiller mes athlètes: fléchis les jambes, tiens mieux le guidon, ne te penche pas trop, pousse sur les pieds pour avancer, ne cours pas en regardant derrière, mets tes mains lorsque tu tombes, garde le corps bien droit sur le poney, ... . Grâce à cette vigilance de tous les instants  je déplore finalement assez peu de blessures. La sieste est un moment important pour permettre au corps de se ressourcer, le moment clé de la journée pour la récupération. Comme tous les athlètes, les miens essaient régulièrement d'y échapper et je dois sans cesse être derrière eux. 

Je m'occupe bien sûr de tous les entraînements pour lesquels j'impose une discipline militaire. Lever à 8h permettant l'entraînement du matin après un petit déjeuner copieux. La clé de la performance se trouve dans la répétition des gestes sportifs jusqu'à ce que le cerveau n'ait plus à intervenir. Le geste devient alors mécanique et naturel. J'utilise pour cela la technique de reprogrammation neuro-motrice permettant un apprentissage optimal du geste. Le déplacement du poignet pour tracer un trait, le cheminement de la main pour enfiler une perle, le mouvement du bras pour retirer un vêtement. Autant de gestes qui sont inlassablement répétés et répétés et répétés sous ma direction autoritaire. Enfin je m'occupe de toute la logistique des entraînements (biberons, vêtements de rechange, collation, terrains d'entraînement). Il est en effet important que mes athlètes ne se soucient de rien et ne puissent penser qu'à la performance.

J'organise régulièrement des compétitions pour maintenir leur esprit de combattant en éveil : le 100m en poussette, le 3000m en slip, le lancer de petits pois, le saut du lit. J'essaie de trouver et de renouveller la concurrence dans les bacs à sable environnant.

Le coach sportif doit être également fin psychologue. Les crises de confiance sont fréquentes et il faut savoir y faire face. C'est dans la gestion de ces moments là que l'on façonne un moral de champion. Ma petite botte secrète c'est la sophrologie ou la visualisation positive que je pratique avec assiduité : ce sooooir vous allez vous endormiiiiiiiiir et faaaaaaire une nuuuuuuuit complèeeeeete ... vous allez joueeeeeer dans votre chaaaaaambre seuls et ne pas vous disputeeeeeer.

En septembre mon ainé participera aux Jeux de la Maternelle. Une gigantesque compétition regroupant une trentaine d'athlètes sous la direction d'un seul arbitre. Je vais enfin pouvoir mesurer grandeur nature ses progrès. J'ai hâte ;)        

lundi 4 juillet 2011

La fin de l'improvisation

J'évoquais précédemment la quête de sérénité comme un leitmotiv obsédant. Je découvre rapidement qu'avec des enfants, l'improvisation est son pire ennemi. Je vous propose une petite variation sur le thème du réveil. Un avant / après montrant les méfaits de l'improvisation lorsqu'on est en congé parental, ou plus généralement lorsqu'on a des enfants. Et vous, comment est votre réveil ?

Avant le congé parental (calme et sérénité)
Le réveil sonne. J'ouvre les yeux. Mes sens ne fonctionnent qu'à moitié, un voile recouvre ma vision. Je ne distingue que des ombres et des formes. Le réveil indique 7h peut-être 7h30. Mes muscles sont tous endoloris. A demi-éveillés pour les uns et endormis pour les autres. J'effectue inconscient la distance qui me sépare de la salle de bain. Les prochains instants sont dédiés à un protocole que j'effectue machinalement tous les matins après être sorti péniblement de mon lit. Je ne sais plus bien depuis le temps s'il a vocation à me préparer ou à me réveiller définitivement. Mes mouvements sont ritualisés à l'extrême, comme un ballet qui aurait été répété des centaines de fois sous les yeux exigeants d'un chorégraphe corrigeant la moindre erreur de placement. Mes pieds se posent aux mêmes endroits, mes mains accomplissement les mêmes mouvements. Comme chaque matin j'ouvre le robinet de la main gauche et je manque de me brûler. Maudit soit ce monde pensé pour et par des droitiers. Comme chaque matin je réalise qu'un peu de méthode la veille m'aurait épargné bien des désagréments. Et pourtant je sais que rien ne changera. Il est troublant de réaliser qu'avec le temps votre inconscient, pour un pourcentage important des actes de la vie quotidienne, prend le dessus sur votre conscient et vous dicte sa volonté. Un deuxième moi, pensais-je, un maître insondable dont le dessein ne peut-être mauvais. En cette heure matinale il m'aura porté, habillé, préparé et conduit à la cuisine. Comme tous les matins le bruit sourd et monocorde de la machine à expresso fait jaillir en moi des ondes de plaisir. Mon cerveau a depuis longtemps associé ce bruit à sa dose matinale de caféine. Je ne pense qu'à profiter de cet instant. Chaque gorgée avalée lentement réveille une partie distincte de mon corps, la douce sensation de chaleur remontant jusqu'au sommet de mon crane. Me voilà suffisamment conscient pour ouvrir la porte de la chambre de mes enfants. Endormis et apaisés ils me transmettent une énergie qui me suivra tout au long de la journée.

Après le congé parental (agitation et affolement)   
Des cris résonnent dans l'appartement. Je tourne la tête. 8h30 peut-être 8h45. Péniblement j'entre-ouvre la porte de la chambre de mes enfants. Les pleurs s'arrêtent. Mon aîné m'apostrophe "Papa j'ai faim - Je veux mon biberon - Est-ce que c'est l'heure de se réveiller ?". Le petit l'accompagne "Lééééé, Lééééé, Lééééé". A peine ai-je refermé la porte que les pleurs reprennent instantanément. Je n'ai pas la force de leur dire de se taire. Je concentre le peu d'énergie que j'ai, à cette heure matinale, vers une seule et unique tâche : la préparation des biberons qui devrait m'apporter un peu de sérénité. J'ouvre le placard et je récupère les biberons en kit. J'en assemble deux, avec beaucoup de difficultés, sans aucune considération pour l'assortiment des couleurs. Haut de biberon. Bas de biberon. Tétine. Haut de biberon. Bas de biberon. Tétine. Les pleurs, qui augmentent crescendo, agissent comme un aiguillon qui me rappelle à l'ordre chaque fois qu'un geste est superflu ou inefficace. Je ne réagis qu'aux stimuli extérieurs, mon inconscient est lui encore endormi. Lorsque mon regard croise par hasard mon graal, la machine à café, je le détourne immédiatement pour ne pas perdre de vue mon objectif. Mes besoins peuvent bien attendre. Pas les leurs. Je verse le lait. 240ml. 2 fois.  Et je me précipite dans la chambre. J'attrape le plus petit auquel je retire sa turbulette. De douces effluves remontent de son "body", la nuit semble avoir été productive. Je n'ai évidemment pas la force de le changer et me convaincs que cela peut bien attendre. Quelques minutes de plus ne devrait rien changer. Il semble s'en accommoder. Moi aussi. J'intime l'ordre au plus grand de me suivre. Les pleurs reprennent. "Dans les bras - Dans les bras papa". Je me rapproche du lit du plus grand. Je repose par terre le plus petit et je tends les bras vers le grand. Il s'arrête instantanément de pleurer tandis que le petit prend immédiatement le relais. Il est amusant de constater qu'ils ne pleurent quasiment jamais ensemble. Merci ! Cela prolonge notre plaisir. Je capitule. Je laisse le grand dans son lit. Je repose le petit dans le sien. Il se tord dans tous les sens en pleurs. Le grand le regarde, perplexe, en silence. Je retourne à la cuisine et reviens les bras chargés des deux biberons. Les mains se tendent vers moi comme dans une imploration divine. Les prochaines minutes seront des minutes de silence le temps pour moi de prendre, à toute vitesse, mon café. La journée ne fait que commencer et ils m'ont déjà absorbé une bonne partie de mon énergie. C'est promis, demain je mets le réveil à 7h30 et je prépare tout avant !

samedi 2 juillet 2011

Chaque jour le ciel est différent

Enfer de Dante ou Mythe de l'Arcadie ? Vous l'aurez compris à la lecture des derniers billets de mon blog, le congé parental est un peu des deux à la fois. C'est probablement ce qui lui confère son charme. Chaque jour le ciel est différent, c'est résumer la glorieuse incertitude de la vie en congé parental.

La curiosité est un de mes traits de caractère. Je fuis les vies réglées comme du papier à musique et je me jette avec délectation dans ce qui exalte un parfum de nouveauté. Me retrouver piégé par des accords convenus et imposés était l'une de mes angoisses avant de commencer mon congé parental. Devoir suivre une mélodie sans pouvoir écrire sa propre partition. Le dogme du sacro-saint rituel m'effrayait. Présenté par les plus grands pédopsychiatres, comme un impératif absolu pour trouver paix et sérénité avec vos enfants, je craignais qu'il ne soit comme une immense source d'ennui. Un éternel recommencement qui rendrait vos journées uniformes et sans saveur. Je voulais la paix et la folie. La sérénité et la sérendipité. Tout à la fois. Etais-je trop exigeant ?

Mes premiers mois d'homme au foyer ont balayé mes inquiétudes. Effectivement, chaque jour le ciel est différent !

Certes, comme pour chaque métier vous avez un certain nombre de passages obligés. Des repères du quotidien. Vos phares. Comme le soleil reste un phare dans un ciel changeant. Les couches. Les repas à préparer. Les machines à lancer. Autant de repères qui balisent inlassablement vos journées et qui peuvent être pour certain la caricature du congé parental. Mais ce qui est important est ce qu'il y a entre ces repères. Je me suis alors amusé à me remémorer les rituels professionnels auxquels j'ai été longtemps astreint. Et bien ils sont au moins aussi nombreux : les trajets pour se rendre au bureau, les pauses à la machine à café, les documents administratifs à remplir (note de frais, ...), la vérification compulsive de vos emails, les déjeuners au restaurant d'entreprise, les réponses stéréotypées aux clients sans compter les rituels propres à votre métier. Interrogez-vous et vous verrez que finalement, aussi épanouie que soit votre vie professionnelle, elle s'étire, elle aussi, entre des rituels qui se répètent inlassablement. Ils procèdent de la même logique que ceux que l'on met en place pour nos enfants. Ils nous transmettent stabilité et force pour affronter les situations nouvelles.

Le congé parental paradoxalement aura eu deux mérites essentiels à mes yeux. D'abord il aura cassé tous mes repères professionnels pour me construire un nouvel univers porteurs de ses propres codes et valeurs. Ce changement agit comme une énorme bouffée d'oxygène et induit une énergie nouvelle, différente. Ensuite je découvre que les enfants, contrairement à la majorité d'entre nous, sont en rébellion permanente contre l'ordre établi. La où, dans le monde professionnel, vous vous laissez porter par les rituels; dans le monde de l'enfance vous devez lutter pour garder un semblant d'ordre. Une lutte de tous les instants. Il est bien connu que les systèmes évoluent naturellement vers leur maximum d'entropie - c'est à dire vers le désordre et le chaos - et bien cette vérité n'a jamais été aussi vraie qu'avec de très jeunes enfants. Cela a deux conséquences. La première est que le rituel est réduit à sa portion congrue si vous n'y prenez pas garde et la deuxième est que chaque instant passé avec eux est unique. Je vous l'ai dit chaque jour le ciel est différent.

J'ai l'habitude de fréquenter la ménagerie du jardin des plantes. "OK ! Une visite au zoo quoi !" me diriez-vous. Et bien oui mais elle a toujours été différente. Elle s'est révélée être une expérience anthropologique animale lorsque nous avons passé plus d'une demi-heure devant la cage de la famille Orang-outang, mes enfants fascinés par leurs ressemblances comportementales avec les hommes. Elle s'est révélée être scène de comédie de boulevard lorsque dans le vivarium aux reptiles, alors qu'il pleuvait des cordes dehors, mon ainé se tortille dans tous les sens. Je dégaine immédiatement le pot que je conserve sous la poussette et je l'installe dans un coin sous les serpents devant les yeux médusés des touristes parisiens. Quand soudain j'entends derrière moi :"Monsieur, votre enfant est en train de boire l'eau des poissons !". Effectivement mon plus jeune était en train de boire l'eau verdâtre et probablement saumâtre d'une fontaine à poisson dans l'entrée du vivarium. Vision effroyable. je l'imaginais déjà avec un poisson frétillant entre les dents. Mon cri a résonné dans tout le vivarium et a dû réveiller tous les reptiles endormis. Elle s'est révélée être une expérience socialement exquise lorsque j'ai rencontré un papa indien, en tourisme dans la capital, et dont nos enfants respectifs se sont mis à jouer ensemble comme s'ils s'étaient toujours connus. 

Entre anecdotes savoureuses, observations pointues et liens sociaux agréables, chaque sortie est une aventure plus proche des tribulations de l'Odyssey que du siège de l'Iliade. Ma vie d'aujourd'hui est peuplée de petites anecdotes et de petites rencontres qui lui donne son sel, son piquant et son charme. Alors oui, l'horizon n'est pas très large, je ne discuterai jamais, ou pas avant un certain temps, de l'affaire DSK, de la crise du nucléaire ou de philosophie avec mes enfants mais ils me procurent bien d'autres plaisirs et joies dans une vie qui, contrairement à ce que je pouvais craindre, est très très loin d'être un éternel recommencement.