Il y a quelques temps j'ai été à la grande galerie de l’évolution avec mes deux enfants. Magnifique sortie mais, oh combien épuisante. Mon deuxième enfant a commencé à marcher depuis quelques mois et je découvre le prix de sa liberté. Il faut me rendre à l’évidence, quelque soit le contexte, quelque soit la situation, quelque soit l’époque, toute liberté a un coût et aujourd'hui j'en fait les frais. L’endroit est clos mais malgré cela la vigilance dont j’ai dû faire preuve est épuisante. Il vous faut sans cesse trouver un point de vue vous permettant d’avoir vos deux enfants dans votre champ de vision. Le moindre poteau, le moindre obstacle, le moindre groupe de touristes vous bloquant l’accès visuel à vos enfants et voilà votre rythme cardiaque qui s’accélère et la sueur qui commence à perler sur votre front. Je donnerais cher pour disposer d'un petit scanner portatif. Las, vous naviguez de Charybde en Scylla. Aucun répit. Même lorsque vous finissez par céder et à en porter un dans vos bras. Vous réalisez alors avoir troqué le répit de l’esprit contre celui du corps, et à la fatigue mentale se substitue une fatigue physique toute aussi pernicieuse. Votre bien être est entamé de tous les côtés et seul un entraînement régulier vous permet de supporter ces excursions.
Paradoxalement le moment le plus harassant a été le déjeuner. Je l’attendais comme la délivrance. La faim devait calmer, au moins de façon temporaire, l’appétit de découverte de mes enfants. Il n’en a rien été. J’ai dû mettre en place un protocole expérimental pour atteindre mon objectif, à savoir remplir suffisamment nos trois estomacs pour me garantir un retour salvateur dans le calme. Première étape : distraire mon aîné qui n’était manifestement pas encore tiraillé par la faim. Une paille dans son emballage aura suffi. Deuxième étape : calmer la sensation de faim du deuxième, qui le conduisait à pousser des grognements. On aurait pu les imaginer de circonstances en ce lieu de culte de l’Animal, mais dans cette grande galerie muette, ils étaient plutôt embarrassants. Je découvre rapidement et avec horreur que le lieu ne dispose pas de chaises bébés. La préparation doit alors faire place à l'improvisation. Sur les genoux, un bavoir autour du cou et je commence à le nourrir. Rapidement je comprends que sa satiété n’altérera pas sa revendication d'indépendance. Il veut manger seul et essaie de m'attraper le bras pour se saisir de la cuillère. Vous imaginez les conséquences. Il me faut recourir au triptyque infernal : Explication, Mise en garde et Punition. Là ma mémoire me joue des tours, mais il est assez possible que, par soucis d'efficacité, j'ai foncé directement à la punition. J'espère que les psychologues de la petite enfance me pardonneront. La troisième étape se passe sous les pleurs du plus jeune et consiste à nourrir l’aîné qui commence à entamer la paille en plastique pour calmer sa faim. Un petit pot, une grande cuillère et le tour est joué. Enfin presque. Je dois me résoudre à l'aider avec une deuxième cuillère pour accélérer le mouvement. Après deux compotes à boire qui m'auront valu quelques minutes de calme, je décide de rentrer, le ventre vide, mais l'esprit plein d'espoir quant au trajet du retour. Et effectivement, il se déroule dans un parfait silence, mes deux enfants ayant eu la bonne idée de s'endormir immédiatement. Après une demi-heure de trajet je décide de prolonger le plaisir. Je me gare en bord de route, je ferme les yeux et je les rejoins fuis vers de doux rêves où mes enfants ont gagné leur indépendance et moi retrouvé ma liberté.
On n'imagine pas le niveau d'énergie qu'il faut déployer pour s'occuper et occuper quotidiennement deux jeunes enfants. Ma fatigue professionnelle d'avant n'est en rien comparable à celle qui m'étreint tous les soirs. Il m'arrive, j'en conviens, de rêver retrouver, le calme et la sérénité du bureau.